Faire construire un orgue

construire-orgueL’association Orgue en France est saisie par des collectivités, associations, organistes, affectataires, qui sollicitent son avis et son conseil pour des projets de travaux relatifs à la construction d’orgues neufs ou la reconstruction d’orgues existants.
Conformément à l’article 2 de ses statuts, l’association est légitimée à répondre à ces demandes quelle que soit leur provenance. Elle en a l’obligation statutaire lorsque celles-ci émanent de ses membres.Ce propos concerne la création d’orgues neufs et la reconstruction de parties instrumentales d’orgues existants non protégés au titre des monuments historiques.
Orgue en France ne prône aucune esthétique particulière, soucieuse de la diversité qui fait la richesse culturelle de l’orgue, du respect des diverses sensibilités.

Après en avoir informé le groupement professionnel des facteurs d’orgues, le bureau d’Orgue en France a estimé nécessaire de communiquer le fruit de ses réflexions et les propositions qui en découlent.

 

 

Constats

On voit que sous les termes « orgue polyphonique, orgue classique, orgue baroque, orgue romantique, orgue moderne, orgue contemporain », on trouve des instruments très différents, ces différences provenant notamment des techniques de facture d’orgues. Ainsi au XVIIe siècle avec des nomenclatures assez voisines, les résultats sonores sont très variés si l’on observe et l’on écoute un orgue italien, espagnol, un orgue d’Allemagne du nord, des Pays-Bas du sud, un orgue flamand, franco-flamand, français, etc.
Il en est de même pour l’orgue dit romantique ou symphonique comme on peut le constater à travers l’évolution musicale de l’œuvre de Cavaillé-Coll entre 1840 et 1890. Avec la même nomenclature de jeux, on découvre des résultats sonores et musicaux très différents. Pour s’en convaincre, on peut comparer la composition de l’orgue de la cathédrale de Saint-Omer (Cavaillé-Coll 1855) avec celle d’un orgue dit « néo-classique ».
Le XXe siècle et ce début du XXIe témoignent d’une très grande diversité stylistique – phénomène sans précédent dans l’histoire de l’instrument – à travers les mouvements néo-baroque, néo-classique, néo-symphonique, également par l’apport de nouvelles technologies, nouveaux matériaux, etc.

On peut ainsi en déduire que ce n’est pas la composition des jeux qui constitue un programme ou une orientation musicale (la nomenclature des jeux ne pouvant présumer d’un résultat sonore) mais notamment :

  • les contraintes d’implantation, l’environnement du lieu,
  • l’acoustique (qui déterminera une orientation, des contraintes, par rapport au développement des graves, des aigus, des partiels, de l’harmonie « verticale » ou de la polyphonie),
  • l’environnement du lieu,
  • le programme fonctionnel de l’instrument (l’usage qu’on veut en faire non seulement aujourd’hui mais demain quand ceux qui l’ont conçu, financé, réalisé, joué, ne seront plus là),
  • les techniques de facture d’orgues mises en œuvre,
  • l’adéquation entre les compétences et les affinités de facteurs d’orgues avec le projet et les paramètres précédents.

Réflexions – Questions

De ce fait une responsabilité importante pèse sur le maître d’ouvrage[1] et ceux qui l’entourent, puisqu’ils vont, à un moment donné, déterminer une orientation qui va perdurer pour de nombreuses générations. Cette responsabilité est analogue à celle de la commande d’une œuvre à un artiste plasticien, d’une sculpture, de vitraux. Les hommes passent, l’œuvre reste.
Cela doit conduire à une réelle humilité car ces décisions reposent sur peu de personnes, aucune d’entre elles n’étant l’auteur de l’instrument. La liturgie évolue, les mentalités, les habitudes, les oreilles aussi ; par exemple, on préfère parfois l’orgue en bas près du chœur plutôt qu’à la tribune, de même que dans les églises on a établi un autel plus proche des fidèles (à l’entrée du chœur ou à la croisée des transepts) et on n’utilise plus le maître-autel du fond. De même l’architecture des salles de concert, comme celle des édifices religieux, a considérablement évolué depuis quelques décennies.

Nous entendons parfois cette question : « De quel droit peut-on imposer à des générations d’une même commune d’entendre ce genre de sons, ces répertoires, qui vont figer une esthétique sonore pendant des siècles ?… » Il est vrai que cette question ne se posait pas dans le passé. On modifiait – mettait au goût du jour – les instruments existants pour les adapter à de nouveaux usages culturels ou cultuels et aux nouvelles œuvres créées par les compositeurs de l’époque. Ce constat permet aussi de mesurer la responsabilité qui incombe aux décideurs.

Il faut donc que la création de l’œuvre d’art soit d’une qualité exceptionnelle et constitue un acte suffisamment légitime et fort pour franchir les siècles. Au même titre que l’on s’adressait à un Clicquot au XVIIIe siècle ou à un Cavaillé-Coll au XIXe siècle, les meilleurs de leur temps, comment répondre aujourd’hui à ces exigences d’excellence dans le respect de la concurrence, du code des marchés publics, et en faisant le meilleur usage des finances publiques (les impôts des contribuables) et de la générosité des donateurs, à qui il est légitime de rendre compte ?
Cela suppose aussi que le programme et les conditions de mise en œuvre motivent les facteurs d’orgues pour qu’ils aient envie de répondre aux projets ; cela impose que des libertés soient laissées aux facteurs d’orgues-concepteurs, au même titre qu’à leurs illustres prédécesseurs, afin qu’ils puissent faire œuvre créatrice, se dépasser, mettre en œuvre ; ils ne sauraient être de simples exécutants.

Pour obtenir ce niveau d’excellence, susciter les motivations artistiques, exciter l’imagination créatrice des facteurs d’orgues, lors de la construction d’un orgue neuf, le projet d’utilisation de l’orgue et l’élaboration du programme fonctionnel constituent une étape fondatrice et fondamentale.
Comment alors déterminer une orientation sans avoir identifié préalablement les besoins des utilisateurs d’aujourd’hui (et de demain), les conditions d’utilisation de l’instrument et de sa pérennité, les possibilités et contraintes du lieu ? Comment prétendre l’imposer aux générations futures ?

La question de l’emplacement de l’orgue, de son buffet, doit être examinée en tenant compte de l’architecture du lieu, de l’acoustique mais aussi de la lumière, de l’impact climatique, du chauffage, des courants d’air naturels provoqués par l’ouverture habituelle des portes, etc. Ces conditions environnementales ont une grande influence non seulement sur l’instrument mais sur la motivation, voire l’engagement, d’un facteur d’orgues ; on peut comprendre qu’un facteur d’orgues, au même titre que tout artiste créateur, ne soit pas motivé par un contexte défavorable à la bonne réalisation et à la préservation de son œuvre (et donc à sa réputation) et que, de ce fait, il renonce à soumissionner. Dans le même esprit, le budget prévisionnel doit permettre de répondre aux exigences qualitatives d’une œuvre d’art.

Puisqu’il est de l’intérêt du maître d’ouvrage de garantir la réalisation d’une œuvre d’excellence et durable, de son devoir de bien gérer les deniers publics vis-à-vis des contribuables et les dons vis-à-vis des mécènes et donateurs, il nous semble que l’étape préparatoire du programme doit être le fruit d’une réflexion collective associant plusieurs compétences et plusieurs sensibilités.
Les utilisateurs d’aujourd’hui, ainsi que l’usage actuel de l’instrument, n’étant pas ceux de demain, s’adjoindre le concours d’avis extérieurs peut apporter un éclairage et une écoute projetant l’instrument dans son avenir, indépendamment de considérations personnelles, factuelles et immédiates qui pourraient devenir obsolètes quelques années plus.

Propositions

Le bureau de l’association Orgue en France s’est penché sur ces questions et recommande :

  1. La constitution d’un comité de pilotage (comité technique et artistique) ayant vocation à assister le maître d’ouvrage et présidé par celui-ci. Ce comité est de fait le porteur du projet. Il comprend :
    • a) le maître d’ouvrage et un collège représentant les utilisateurs :
      • dans le cas d’un édifice cultuel : l’affectataire, l’organiste du lieu s’il y en a un ou un organiste référent de la ville ou de la région, le président de l’association des amis de l’orgue, le professeur d’orgue de l’école de musique (en cas d’utilisation par celle-ci) ;
      • dans le cas d’une salle de concerts : la direction artistique et musicale, le délégué de l’orchestre, un ou plusieurs organistes de la ville et/ou de la région ;
    • b) au moins trois organistes ayant une connaissance étendue des différents types d’instruments réalisés au cours des siècles tant en France qu’à l’étranger, des répertoires, des créations récentes d’orgues, des technologies, des répertoires, des conditions de travail avec orchestre et chœurs (salles de concerts), de la liturgie (dans le cas d’un édifice affecté au culte) ;
    • c) d’autres personnes désignées par le maître d’ouvrage s’il le juge nécessaire ;
  2. L’établissement par le maître d’ouvrage des missions de ce comité, par exemple :
    • étude de l’environnement architectural, acoustique, climatique ;
    • étude historique de l’orgue dans le contexte local et, dans le cas d’un orgue existant, historique et descriptif de celui-ci ;
    • pertinence et opportunité du projet dans le contexte local, régional, national ;
    • inventaire et calendrier des travaux préalables (état sanitaire de l’édifice, électricité, tribune, etc.) ;
    • élaboration du projet d’utilisation de l’orgue, puis du programme fonctionnel qui en découle ;
    • assistance au maître d’ouvrage pour la définition des conditions d’utilisation (convention avec d’autres partenaires) ;
    • assistance au maître d’ouvrage pour l’élaboration du dossier de consultation des entreprises ;
    • établissement de critères de sélection pour un appel à candidatures ;
    • assistance au maître d’ouvrage pour la sélection des entreprises appelées à soumissionner ;
    • examen des offres et assistance au maître d’ouvrage dans le cadre de la commission d’appel d’offres ;
    • audition et dialogue avec les candidats ;
    • dialogue constructif au cours des travaux avec l’entreprise choisie ;
    • assistance au maître d’ouvrage pour la réception des travaux.

Il peut être opportun, parfois nécessaire, de s’adjoindre le concours d’un architecte ayant compétence en matière d’orgues neufs, et d’un acousticien (notamment dans le cadre de salles de concerts). Dans certains cas, le maître d’ouvrage peut estimer utile qu’un facteur d’orgues, non soumissionnaire, soit sollicité.

Dans tous les cas, ce comité ne saurait être indifférent aux questions administratives et financières. Il lui appartient de veiller à la cohérence entre l’objectif artistique et les contraintes budgétaires. C’est pourquoi il est fondé à assister le maître d’ouvrage en matière administrative et à lui communiquer des informations en matière de financements, ce qui sera facilité par la présence d’organistes ayant connaissance d’expériences analogues.

 



[1] La maîtrise d’ouvrage (MOA), aussi dénommée maître d’ouvrage, est l’entité porteuse du besoin, définissant l’objectif du projet, son calendrier et le budget consacré à ce projet. Le résultat attendu du projet est la réalisation d’un produit, appelé ouvrage.