L’orgue Rieger de la Philharmonie de Paris

Introduction

Philharmonie de Paris
Philharmonie de Paris

On se souviendra longtemps des années 2015/16 dans l’histoire culturelle de Paris comme celles de l’achèvement de la nouvelle Philharmonie de Paris et de son monumental orgue Rieger, remplissant ainsi un vide dans les équipements culturels de la ville : l’absence d’un lieu séculier dans lequel les plus grandes œuvres pour chorale, orgue et orchestre peuvent être exécutés, était ressentie par tous depuis de nombreuses années. Emergeant du Parc de la Villette environnant, avec la Cité de la Musique, et près du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, la Philharmonie a été conçue par Jean Nouvel pour s’adapter à toutes les formes musicales, du classique au moderne, du traditionnel au jazz.

La magnifique salle de concert, la Grande Salle – Philharmonie 1, avec ses galeries en terrasse et ses « nuages » acoustiques pour augmenter la diffusion sonore de la salle, est non seulement passionnante visuellement, mais idéale du point de vue du son. La scène peut être configurée pour les œuvres symphoniques et le jazz. Dans la première configuration, avec un public de 2400 personnes, la salle a une réverbération moyenne de 2,3 secondes qui se traduit par un son chaleureusement séduisant, mais qui demeure néanmoins clair et direct.

Un orgue contemporain « symphonique »

Philharmonie de Paris
Philharmonie de Paris – photo Rieger Orgelbau
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Bien que non initialement prévue pour un orgue, la salle a été adaptée pour fournir un grand espace horizontal au-dessus et derrière la scène pour accueillir un orgue de concert à tuyaux.

Le comité de l’orgue désigné par la Philharmonie a accepté de commander un instrument contemporain qui servirait la musique universelle pour orgue (à la fois œuvres originales et transcriptions), tout en suscitant un grand attrait populaire. L’importance de l’attraction populaire découle du fait que l’objectif de la Philharmonie est d’attirer de nouveaux publics des quartiers marginalisés de la métropole, d’utiliser la musique et les arts pour promouvoir l’appréciation des diverses cultures et intégrer des éléments disparates de la société autour d’exécutions de haute qualité de toutes les catégories de musiques du monde. Faire place spécifiquement à l’ésotérique et l’expérimental, ou essayer de reproduire les sons des orgues historiques, n’étaient pas les objectifs pour cet instrument, même si la musique expérimentale et historique peut et y sera certainement exécutée.

Le but du comité était d’avoir un orgue qui puisse être utilisé avec les orchestres, à la fois comme soliste et tout simplement comme l’un des instruments de l’orchestre ; un orgue pour accompagner les chœurs et autres musiciens ; et pour les exécutions d’orgue solo, des grandes œuvres « classiques », au jazz et à la musique légère. Ces exigences ont inévitablement conduit à une disposition symphonique, mais avec un noyau classique.
 
Par « symphonique » on entend un orgue avec un grand nombre de jeux de fond (16′ et 8′) permettant une large gamme de couleurs et de volumes, et avec plusieurs boîtes d’expressions pour en augmenter la polyvalence dynamique. Ainsi les gammes dynamiques commencent par les très doux et progressent sans difficulté, sans étapes discernables, vers les majestueux – crescendos et decrescendos qui peuvent être mis en œuvre efficacement avec des systèmes de combinaisons électroniques élaborés et des séquenceurs permettant de passer rapidement d’une combinaison à l’autre. En outre, dans l’idiome symphonique, l’harmonisation favorise discrètement le soprano, la voix qui porte souvent la principale ligne mélodique de la musique. Ces dimensions symphoniques de l’orgue sont dérivées des orgues français du XIXe siècle, mis au point par Aristide Cavaillé-Coll.
À la fin du XIXe siècle, nombre de ces caractéristiques étaient devenues la norme universelle, mais dans certaines parties du monde, les instruments de cette époque tendaient également à désaccentuer les harmoniques supérieures, y compris les mixtures, conduisant finalement à la réduction du rôle des chœurs principaux. Ces tendances « romantiques » ont été inversées, souvent à l’extrême, dans la phase néo-baroque du XXe siècle.

Contrairement à ces tendances historiques, l’orgue de la Philharmonie devait être un instrument contemporain du début du XXIe siècle, en incorporant le meilleur des deux approches mentionnées ci-dessus sans extrêmes. Par conséquent, l’orgue ne devait être ni une copie d’aucun style historique, ni une tentative de préempter les développements futurs. Le but était de créer un exemple de premier plan de ce que l’art de la construction d’orgue pourrait produire au début du nouveau millénaire.

Suite à un processus d’appel d’offres ouvert et compétitif, Rieger Orgelbau, en Autriche (www.rieger-orgelbau.com) a été chargé de construire cet instrument passionnant. Il a été convenu d’avance entre les parties que l’harmonie serait réalisée par le facteur d’orgue français Michel Garnier, membre de l’équipe de Rieger depuis 2000, pour ainsi donner à l’ensemble un caractère français.

 

Conception sonore de l’orgue

Orgue Rieger de la Philharmonie de Paris
Orgue Rieger de la Philharmonie de Paris photo Rieger Orgelbau Cliquer pour agrandir

Conformément à la réflexion du comité, le clavier de Grand Orgue a un noyau « classique » composé d’un chœur de jeux de Principaux, commençant au 16′ et progressant jusqu’à la Fourniture et la Cymbale.

Une configuration semblable, mais de taille plus étroite, se trouve sur le Positif, encore une fois du 16′ au Plein Jeu, mais basé cette fois sur un 16′ bouché. De même, l’harmonie conserve les harmoniques de chaque tuyau, de sorte que leur ton reste clair et lumineux.

Autour des noyaux classiques du Grand Orgue et du Positif, une riche sélection de registres supplémentaires a pris place, beaucoup au son fondamental, mais aussi une palette de mutations pour donner plus de couleurs et d’éclat ; de belles gambes, des flûtes chaudes, et bien sûr des batteries d’anches françaises. Le tutti est plein, riche, scintillant – bref, électrisant.

 
 
 

Orgue Rieger de la Philharmonie de Paris
Orgue Rieger de la Philharmonie de Paris photo Rieger Orgelbau Cliquer pour agrandir

Comme on peut le voir dans le cahier des charges, le clavier de Récit dispose d’une gamme encore plus grande de jeux de 8’, à partir de jeux délicats de gambes, une famille de flûtes harmoniques typiques des orgues français du XIXe siècle et une sélection colorée d’anches destinées tant au solo et qu’aux ensembles.

Le quatrième clavier comprend à la fois le Solo expressif, les Chamades, et la division Résonance, qui a été conceptualisée comme un complément flottant aux divisions Grand Orgue et Pédale et comporte les mutations nécessaires pour jouer la littérature française classique.

La Pédale est très fournie, à commencer par trois jeux de 32′ et huit de 16′ pour donner cette base riche que seul un orgue peut ajouter à de grandes œuvres orchestrales. Les divisions Pédale et Résonance combinées offrent à l’organiste un choix de neuf jeux d’anches.
 
 
 
 
 
 
 

Philharmonie de Paris
Orgue Rieger de la Philharmonie de Paris photo Rieger Orgelbau Cliquer pour agrandir

En général, les anches de l’orgue sont de caractère français, avec la luminosité typique associée aux maîtres français du 19ème siècle. Avec de nombreuses boîtes d’expression pourvues de jalousies remplies de sable, leur gamme dynamique est exceptionnelle. Boîte fermée, les anches et la mixture Récit donnent l’impression d’une intense énergie qui attend de surgir ; et lorsque la boîte est ouverte, la salle se trouve envahie par la luminosité. De la même manière, le Tuba du Solo, dont les résonateurs sont coudés (selon le style anglais) projettent le son directement dans l’auditorium, a une gamme dynamique remarquable.

Une caractéristique particulière est que l’orgue est entièrement enfermé dans un espace s’étendant à l’arrière de la scène (une niche de 18 mètres de large), avec d’énormes volets « généraux » d’expression, pesant environ 5 tonnes, pour fermer l’orgue lorsqu’il n’est pas en fonction, et qui peuvent être utilisés pour des crescendos dramatiques et pour donner une atmosphère théâtrale à la musique.

 

Disposition de l’orgue

Philharmonie de Paris
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L’espace fourni par l’architecte pour l’orgue est horizontal, ce qui a nécessité une disposition non conventionnelle. Le ventilateur et le soufflet réservoir principal sont situés à gauche de la niche, vu de la scène. Puis, malgré la largeur de la niche par rapport à sa hauteur, les tuyaux des divisions manuelles de l’orgue sont placés sur deux niveaux, les tuyaux de chaque plan sonore étant divisés en basses et en dessus. Les basses se situent sur le niveau bas avec les tuyaux les plus longs à l’arrière, montant jusqu’au deuxième niveau sur lequel sont placés les aigus. La disposition en deux sommiers séparés permet de différencier les pressions du vent à l’intérieur (et pas seulement entre) les plans sonores, un arrangement favorable aux anches. Les porte-vent de l’orgue et une partie de l’action mécanique sont placés au-dessous de ces deux niveaux; et les plus grands tuyaux de Pédale sont logés horizontalement au-dessus des deux niveaux, au sommet de l’orgue.

La console mécanique est accessible depuis l’arrière de l’orgue, et se situe sur une petite galerie se projetant dans l’auditorium comme l’un des « nuages » acoustiques de la salle. Vu de la scène, le Positif est à droite de la console ; le Solo directement au-dessus ; et le Récit, Grand Orgue et Résonance (dans cet ordre) à gauche. La division Pédale partage l’espace avec la Résonance, à l’extrême gauche, ainsi que les trois jeux Chamade, placés horizontalement au-dessus des aigus de la Résonance.

Suivant les souhaits de l’architecte, la façade de l’orgue donne un aspect minimaliste lorsque la boîte d’expression générale est fermée. Seul un groupe de tuyaux de Montre 16′, situés autour de la console mécanique, révèle la présence d’un orgue. Cependant, lorsque la boîte d’expression générale est ouverte, l’intérieur de l’orgue est spectaculairement visible. Son impact peut être augmenté en illuminant l’intérieur par une variété de couleurs qui reflètent visuellement l’atmosphère de l’œuvre jouée, comme ce fut le cas pendant les concerts inauguraux.

Philharmonie de Paris
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Une deuxième console mobile est disponible sur scène. Cette console – blanche, moderne et élégante – mise en lumière sur une scène semi-sombre avec la niche de l’orgue illuminée au-dessus et derrière elle, est spectaculairement dramatique, et semble vous amener optiquement plus proche de la chaleur, la beauté, la brillance et la puissance de l’instrument. Ses caractéristiques comprennent, hormis le rappel automatique des données sauvegardées par l’organiste – combinaisons, séquenceur, archive – la possibilité pour l’instrumentiste de régler la console ergonomiquement comme il le souhaite : position latérale, profondeur et distance du pédalier, hauteur du bloc claviers.
 
 
 
 
 
 

Concerts inauguraux

La réussite de l’orgue dans la réalisation des objectifs fixés par la Philharmonie a été présentée à des publics enthousiastes lors de trois concerts inauguraux, au cours du week-end des 6 et 7 février 2016. Le premier était un récital combiné pour faire entendre le nouvel orgue en tant qu’instrument solo. Bernard Foccroulle a efficacement démontré la partie classique de l’instrument avec des œuvres de Buxtehude et Bach, et Philippe Lefebvre la chaleur romantique associée à César Franck sur les instruments d’Aristide Cavaillé-Coll. Olivier Latry a brillamment illustré les couleurs et la polyvalence de l’orgue avec des pièces virtuoses de Khatchaturian, de Falla, Liszt, Mobberley et Saint-Saëns. Enfin Wayne Marshall a conclu entre autres avec des extraits de la Sixième Symphonie de Widor.

Au deuxième concert, l’Orchestre national de Lyon, avec Vincent Warnier, a permis au public d’entendre l’orgue dans une configuration avec orchestre, avec la Symphonie pour orgue et orchestre d’Aaron Copland. Warnier a également donné une exécution dramatique de Volumina de György Ligeti, en utilisant la boîte d’expression et l’illumination interne de l’orgue pour un effet maximum. Le troisième concert était une impressionnante improvisation de Thierry Escaich pour accompagner une projection du film muet, Phantom of the Opera. Ces brillantes représentations se sont conclues par une charmante conférence-démonstration d’Olivier Latry, assisté de Vincens Prats.

Conclusion

La Philharmonie de Paris a créé un superbe lieu séculier pour l’orgue où toutes les variétés de musique pour l’instrument peuvent être jouées et appréciées. Tout en s’inspirant de la longue histoire de l’instrument, l’orgue de la Philharmonie incarne le meilleur de l’art de la création d’orgue en ce début du XXIe siècle. L’enthousiasme des publics pour cet instrument a prouvé son attractivité populaire. Sans nul doute, le nouvel orgue Rieger a fourni à la Ville de Paris un lien supplémentaire entre les communautés culturelles de la Ville pour créer une harmonie sociale à travers la musique.

Antony Melck,
Rieger Orgelbau, Administrateur
Professeur Emérite, Université de Pretoria